Ce quâil se passe actuellement dans les mĂ©dias au sujet de lâUkraine est la raison principale pour laquelle jâai voulu lancer Marcopolo. Vous ĂȘtes certainement en train de lire dans vos diffĂ©rents journaux, ou encore plus croustillantes, sur les rĂ©seaux sociaux, une multitude dâanalyses stratĂ©giques concernant lâattaque potentielle de la Russie contre lâUkraine :
âIls attaqueront d'ici Ă deux semainesâ,
âIls nâattaqueront pas avant le mois de mars, ils ont besoin de 100 000 soldats de plusâ,
âLes camions de fantassins ont Ă©tĂ© vus roulant en direction de la frontiĂšre ukrainienne, lâattaque est imminenteâ,
âPoutine veut juste faire pression sur lâoccident pour quâil nâaccepte pas lâUkraine dans lâOTAN, câest tout, il ne souhaite pas rĂ©ellement attaquer lâUkraineâ,
âLâattaque sera hybride et aura pour objectif de mettre un gouvernement prorusse Ă la tĂȘte de lâUkraineâ.
Eh bien je ne vais pas vous parler de toutes ces hypothĂšses aujourdâhui car bien malin (ou bien flippant) celui qui arrive Ă se mettre dans la tĂȘte du plus grand psychopathe des deux derniĂšres dĂ©cennies, Poutine. Personne ne sait ce quâil fera et lui-mĂȘme ne doit pas encore le savoir.
En revanche, il me semble beaucoup plus intĂ©ressant de tenter de comprendre comment on en est arrivĂ© lĂ , quelle est lâhistoire rĂ©cente de lâUkraine et pourquoi la Russie ne veut pas la laisser sâĂ©loigner.
đȘLa Rusâ de Kiev
Lâhistoire commune de la Russie et de lâUkraine remonte Ă la Rusâ de Kiev ou Russie KiĂ©vienne : un Ă©tat qui a durĂ© entre le IXá” et XIIIá” siĂšcle et qui sâĂ©tendait de lâUkraine jusquâau Nord de la Russie, avec pour centre de gravitĂ© Kiev.
Une (trĂšs grande) partie des Russes considĂšre donc la Rusâ de Kiev comme le berceau de leur civilisation.
Ă ce titre, Vladimir Poutine avait publiĂ© un article cet Ă©tĂ© expliquant que la Russie et lâUkraine Ă©taient une seule nation.
Mais, lâhistoire en a dĂ©cidĂ© autrement puisque l'Ukraine prend son indĂ©pendance en 1991, suite Ă la dislocation de l'URSS.
Depuis, la politique locale oscille entre pro rapprochement vers l'Europe et pro rapprochement vers la Russie. Les tendances se construisent en fonction de plusieurs facteurs, mais la géographie y est pour beaucoup. L'Est de l'Ukraine est russophone et littéralement collée à la Russie, l'Ouest regarde plus vers l'Europe.
đ„ 2004, round 1
Depuis son indépendance, l'Ukraine était dirigée par Leonid Koutchma, un ancien du parti communiste devenu premier ministre puis président. Une vraie caricature : état corrompu, hommes politiques proches de la mafia.
Lors des élections de 2004, le pro européen Viktor Iouchtchenko est battu par l'autre Viktor, le pro russe Ianoukovitch. Il est aussi sévÚrement empoisonné pendant la campagne.
Les élections étaient visiblement truquées, ce qui déclenche la fameuse révolution orange qui réunit plus de 500 000 manifestants et qui dure plus de deux semaines.
Les élections sont annulées et le clan pro Europe gagne la présidentielle. Mais, la coalition gouvernementale n'arrive pas à s'entendre et tombe vite dans des guerres de tranchées.
Le parti de Ianoukovitch (le pro russe) reprend la main lors des Ă©lections lĂ©gislatives suivantes et devient prĂ©sident en 2010. Le grand rendez-vous est clairement manquĂ© pour lâaile pro-europĂ©enne.
đȘ 2014, round 2
La révolution de 2014 est déclenchée par le refus du gouvernement de signer un traité de rapprochement entre l'UE et L'Ukraine. La jeunesse pro occidentale de l'ouest forme d'énormes manifestations dans plusieurs villes.
Elles sont trÚs durement réprimées (80 morts sur une seule journée de février) et se transforment en une vraie guerre de tranchée, forçant le président à fuir le pays vers la Russie. Un excellent documentaire de Netflix retrace d'ailleurs ces semaines de guerre civile.
Pendant que l'ouest manifeste, la Russie en profite pour faire main basse sur la Crimée. La Russie possÚde là -bas une trÚs grosse base navale et la population y est majoritairement russophone.
Des militaires sans drapeaux ni distinctions sur leurs uniformes ont pris possession de l'Ăźle "pour la protĂ©ger" contre des agresseurs non identifiĂ©s. Personne n'Ă©tait dupe de la nationalitĂ© des militaires, russes en lâoccurrence.
La CrimĂ©e s'est par la suite dĂ©clarĂ©e autonome et a demandĂ© Ă la Russie de l'annexer, ce qui a Ă©tĂ© fait avec plaisir par Vladimir Poutine. Son annexion par Moscou nâest pas reconnue par la communautĂ© internationale, mais a Ă©tĂ© trĂšs populaire en Russie, qui a toujours considĂ©rĂ© cette Ăźle comme russe.
ParallĂšlement, il s'est produit presque la mĂȘme chose dans la rĂ©gion du Donbass, sans que la Russie arrive Ă aller jusqu'Ă l'annexion pure et simple.
Le Donbass est tout Ă l'est de l'Ukraine, Ă la frontiĂšre avec la Russie. Câest un bassin industriel important. Moscou soutient que la population est peuplĂ©e de russophones devant ĂȘtre protĂ©gĂ©s du nationalisme ukrainien.
L'ONU et certains pays occidentaux ont rĂ©ussi Ă geler plus rapidement le conflit en signant les accords de Minsk II. Cela nâa pas permis aux indĂ©pendantistes de prendre pleinement possession de l'ensemble du territoire et de demander leur annexion Ă la Russie.
Mais, depuis, le cessez-le-feu est rĂ©guliĂšrement violĂ© de part et dâautre et une guerre d'usure s'est installĂ©e, avec des altercations plusieurs fois par an. Depuis le dĂ©but du conflit, en 2014, on dĂ©nombre environ 13 000 morts
đŁ 2022, round final ?
LâannĂ©e derniĂšre, la tension est de nouveau montĂ©e dâun cran. Le prĂ©sident ukrainien Zelensky a montrĂ© les crocs face Ă la Russie Ă plusieurs reprises : 3 chaĂźnes de tĂ©lĂ©visions prorusses ont Ă©tĂ© bannies du pays, il a adoptĂ© une loi pour limiter lâusage du Russe et il a fait arrĂȘter un oligarque russe alliĂ© Ă Poutine (il nâa peur de rien Zelensky).
Poutine a le dĂ©sagrĂ©able sentiment depuis plusieurs annĂ©es que lâUkraine glisse doucement vers lâOccident. Le prĂ©sident russe aimerait que lâOTAN lui donne des garanties et dise haut et fort quâil nâacceptera jamais lâUkraine dans le club, mais lâOTAN ne souhaite pas sâengager.
Donc, Poutine rassemble depuis plusieurs mois des dizaines de milliers de troupes Ă la frontiĂšre ukrainienne. Dâabord, Ă lâest, et maintenant au nord. En fera-t-il usage, dans un objectif de nĂ©gociation ou dâannexion. Telle est la question.