🇸🇳 La goutte d'eau qui fait déborder le Sénégal
Le Sénégal vient de vivre une semaine d'émeutes très violentes suite à l'arrestation du député d'opposition Ousmane Sonko. Le pays, considéré comme un îlot de stabilité dans la région, est peu habitué à ce genre de scènes de violences. Les affrontements entre des centaines de jeunes et l'armée auraient fait entre 5 et 9 morts, selon les sources.
L'évènement qui a mis le feu aux poudres c'est donc l'arrestation d'Ousmane Sonko pour trouble à l'ordre public, alors qu'il se rendait au tribunal dans le cadre d’une inculpation pour viol. Pour ses partisans, c'est un coup monté par le Président pour écarter un opposant. Dans un souci d'apaisement, il a été libéré sous contrôle judiciaire et il a demandé à ses partisans de rester pacifiques lors des prochaines manifestations.
Un peu de contexte ?
Depuis son indépendance en 1960 le Sénégal n'a connu que 4 présidents. Bon, il faut dire que le premier Président n'était autre que l'immense Léopold Sédar Senghor, de 1960 à 1980. Le second (Abdou Diouf) a tenu également 20 ans et le troisième (Abdoulaye Wade) 12 ans. Une longévité insolente qui ferait bien des jaloux en France ou en Italie. Surtout, l'alternance se passe globalement bien à chaque fois. Le Sénégal est classé dans le top 10 des démocraties africaines selon le Democracy Global Index de The Economist.
En 2012, Macky Sall est élu, puis réélu en 2019. Depuis 2016, les présidents ne peuvent plus faire que 2 mandats, il n'aura donc pas la longévité de ses prédécesseurs. Mais il a plutôt la côte grâce à une longue carrière politique sans accroc et une réputation d'homme sérieux et honnête. Sauf qu'au fil des années, il aurait un peu pris ses aises avec le pouvoir. Il est soupçonné d'avoir écarté deux rivaux politiques "grâce à" des ennuis judiciaires. Dès son élection, son patrimoine avait déjà fait sourciller pas mal de monde : un peu trop riche pour un homme politique honnête.
L'inspecteur Sonko
C'est pendant le premier mandat du président Sall qu'un jeune inspecteur des finances (Ousmane Sonko donc) commence à critiquer sévèrement le gouvernement. Il l'accuse de malversations, de corruptions et met en cause directement le président. Évidemment ce n'est pas la meilleure stratégie pour faire avancer sa carrière : il se fait virer et crée son parti politique en vue des présidentielles de 2019. Il termine troisième avec 15% des voix.
La semaine dernière, une masseuse d'un salon où il a ses habitudes l'accuse de viol. En se rendant à la convocation au tribunal avec ses partisans il est arrêté pour trouble à l'ordre public, puis relâché quelques jours après. Il doit toujours être entendu dans le cadre de son inculpation pour viol, qui elle, n’a pas été abandonnée.
Sur le fil
Son arrestation semble plus être un prétexte aux émeutes que l’unique raison. Après que deux opposants politiques ont été neutralisés, l'arrestation d'un troisième semble avoir fait réagir beaucoup des jeunes manifestants (qui visiblement n'attendent pas que justice soit faite pour se prononcer). Ils ne sont pas tous des partisans d'Ousmane Sonko, loin de là. Mais ils pensent que, malgré une interdiction constitutionnelle, Macky Sall se représentera à l'issue de son deuxième mandat. Ils dénoncent une dérive autoritaire du régime. Le gouvernement a d'ailleurs empêché deux chaînes de télévision privées de diffuser pendant les émeutes et la chaîne publique n'en a tout simplement pas parlé.
Ajoutez à cela un chômage en forte hausse, une économie du tourisme à l'arrêt et des restrictions liées à la crise sanitaire, la jeunesse sénégalaise en a visiblement plus que ras la casquette. Juste avant la libération de Sonko, le médiateur de la république avait demandé au président de "marquer une pause et parler avec notre jeunesse. Nous sommes au bord de l'apocalypse." C'est bien dit et ça fait un peu froid dans le dos. Il faudra regarder l'évolution des manifestations avec beaucoup d'attention donc.
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