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Vous avez certainement entendu parler des tensions entre la Grèce et la Turquie en Méditerranée ?

L’information
Il y a un peu plus d'un mois, un navire turc d'exploration gazière et pétrolière, l'Oruc Reis, escorté par cinq navires militaires, est allé s'aventurer dans les eaux territoriales grecques. Plus précisément, ces six bateaux croisaient au large de Kastellorizo, une île grecque entre la Crète et Chypre, à quelques kilomètres à peine des côtes turques mais en zone économique exclusive grecque. De son côté, la Grèce avait envoyé une frégate pour surveiller sa zone exclusive et les deux navires se sont légèrement accrochés lors d'une manœuvre. Cet événement a marqué le début de tensions diplomatiques entre la Grèce, d'un côté, et la Turquie, de l'autre. Dans cette affaire, la Grèce est soutenue par une partie de l'Europe dont la France qui a envoyé des renforts militaires patrouiller dans la région pour montrer les muscles face à la Turquie.
Le contexte
La Grèce possède de nombreuses petites îles qui s'étendent au milieu de la mer Méditerranée. Cette caractéristique du territoire grec a l'avantage de lui procurer une Zone Exclusive Économique assez large dans la Méditerranée.
Par exemple Kastellorizo n'est distante que de 2 kilomètres de la côte turque mais se situe à 130 kilomètres de Rhodes, première île de taille importante du côté grec. Donc en Droit Maritime International, Kastellorizo permet à la Grèce de prolonger sa ZEE jusque devant les côtes turques (Voir carte).

En revanche, la Turquie ne voit pas forcément les choses de cette façon, et surtout depuis l'arrivée au pouvoir d'Erdogan : selon eux, les îles isolées ne devraient avoir quasi aucun impact sur la définition d'une Zone Exclusive Économique, et la Turquie devrait donc bénéficier d'une ZEE beaucoup plus large, s'étendant jusqu'au milieu de la Méditerranée. (Voir carte de nouveau).
En temps normal, ce genre de conflit devrait être résolu par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Mais Ankara ne l'a pas signée.
« D'accord mais pourquoi cette bataille de territoire ? » me direz-vous. Après tout, ce n'est que de l'eau salée. Eh bien, pour le gaz, bien évidemment.
En 2015, une source de gaz très importante (Zohr) a été découverte au large de l'Égypte. Cette découverte a réveillé l'appétit de plusieurs entreprises privées et également de plusieurs États dans la région.
Pourquoi c'est important
Premièrement parce que ce sujet est intimement lié à ce qu'il se passe en Libye. Le pays est en pleine guerre civile depuis la chute de Kadhafi, et deux bastions s'affrontent : un gouvernement reconnu par l'ONU à l'Ouest et les forces d'un général rebelle, Haftar, à l'Est. La Turquie est du côté du gouvernement alors que la France, l'Égypte et la Russie soutiennent le général Haftar. En janvier, la Turquie a aidé à arrêter une offensive du Général Haftar sur Tripoli en livrant des armes et des mercenaires. En échange, le gouvernement de Tripoli a signé un accord de partage des eaux entre la Libye et la Turquie. Un accord évidemment favorable à la Turquie, faisant abstraction des îles grecques au milieu, mais permettant à la Turquie de s'étendre jusqu'au milieu de la Méditerranée.
Deuxièmement parce que les tensions entre la Grèce et la Turquie sont également intensifiées par (et pour) des raisons électorales. La Turquie voit ces événements comme un exemple moderne de colonialisme par les européens. Erdogan affine depuis quelques années sa doctrine internationale très expansionniste en Méditerranée, appelée Blue Homeland, dont l'objectif est de contrôler davantage de territoire en mer Égée et Méditerranée du nord. Et ce message résonne très bien au sein de la frange patriotique de son électorat. De l'autre côté le gouvernement grec dépend largement d'un groupe nationaliste (New Democracy) ayant suffisamment de députés pour le bloquer. Un tel sujet de territoire fait également écho au patriotisme de certains grecs.
En résumé, les tensions en Méditerranée pourraient tout à fait se tasser avec le temps, mais elles sont aussi un symptôme des relations profondément tendues entre Europe et Turquie et cela sur plusieurs fronts : Syrie, Libye, Méditerranée, Migrants, ...
L’info qui vaut le détour
Kastellorizo, au centre de cette affaire, est une minuscule île grecque habitée par quelques centaines d'habitants. Mais pas n'importe quels habitants : c'est l'île d'où est originaire la famille de l'actrice Anna Mouglalis, rien que ça.