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Fin juillet, alors que vous étiez sur le point de faire vos valises pour partir tranquillement en vacances, la tête bien loin des affaires internationales, la Tunisie a été le spectacle d'une crise politique importante. Le pays est très durement touché par la crise sanitaire et économique. Le président a joué un énorme coup de poker qui ressemble étrangement à un coup d'État : suspension de l'assemblée, limogeage du gouvernement et installation d'un gouvernement par décret (responsable devant le président uniquement et non plus devant l'Assemblée nationale). Pour bien comprendre ce qu'il se passe, je vous propose de revenir sur l'histoire politique récente de la Tunisie en trois coups d'État
Le coup d'État politique
Lorsque la Tunisie obtient son indépendance, un des piliers des mouvements nationalistes, Habib Bourguiba remporte une écrasante majorité lors des élections législatives de 56 et devient premier ministre. Il deviendra le premier président en 57 lorsque la monarchie sera totalement abolie.
Il ne perd pas trop de temps avec ces histoires de démocratie et il fait rapidement interdire les autres partis politiques dès 1963 pour s'autoproclamer président à vie dès 1975.
Tout comme la pratique de la démocratie, l'économie n'est pas son fort et le pays va mal, très mal. Cela favorise la montée de l'islamisme qui joue habilement de la situation.
Le coup d'État médical
Pour combattre les mouvements extrémistes religieux, Zine el-Abidine Ben Ali est nommé ministre de l'Intérieur puis premier ministre en 87.
Tout aussi pressé que Bourguiba mais encore plus malin, il organise un coup d'État et fait destituer le président pour sénilité. Ben Ali devient seul maître à bord et se paye même le culot de se faire élire à 99% deux ans plus tard pour légitimer le coup.
Les années 90 sont marquées par une solide croissance et un recul des mouvements religieux extrémistes suite à l'arrestation de dizaines de milliers de militants.
Dans les années 2000, trois facteurs viennent s'entrechoquer et vont faire le nid du Printemps arabe : une très forte progression du chômage chez les jeunes, une surreprésentation des jeunes dans la population globale et enfin, une corruption omniprésente (notamment dans la famille de la femme du président).
Vous connaissez la suite : un jeune vendeur de fruits et légumes ambulant, Mohamed Bouazizi, vit une énième humiliation policière et bureaucratique : on lui confisque sa marchandise, le gifle et lui demande d'aller se plaindre ailleurs. Il s'immole par le feu pour dénoncer la corruption et la violence de l'État. Son acte déclenche des manifestations dans tout le pays et plus tard dans une grande partie des pays arabes.
Devant la montée de la colère Ben Ali fuit vers l'Arabie Saoudite et un gouvernement d'union nationale est formé.
Depuis 10 ans, la Tunisie a certes eu 10 gouvernements, mais tous démocratiquement élus. C'est le seul pays à être sorti des printemps arabes en devenant une vraie démocratie. C’était loin d'être gagné quand on voit les 60 dernières années.
Le coup d'État constitutionnel
Fin 2019, des élections législatives et présidentielles ont lieu en même temps. Il en ressort un nouveau président très populaire et élu très confortablement, Kaïs Saïed et une assemblée fragmentée sans réelle majorité.
En juillet, alors que la crise sanitaire touche très durement le pays et que le gouvernement semble totalement dépassé, les manifestations se multiplient pour demander sa démission et la dissolution de l'assemblée.
Après plusieurs jours mouvementés dans les rues de Tunis, le président Saïed décide de suspendre l'Assemblée nationale le 25 juillet et de virer une bonne partie du gouvernement. Il décide de nommer un nouveau gouvernement et de diriger par décret (c’est-à-dire sans vote de l'assemblée).
Initialement suspendu pour quelques jours, le président annonce le 23 août la prolongation de la suspension de l'assemblée jusqu'à nouvel ordre.
Cette décision a été plutôt très bien accueillie par les Tunisiens, car le président Saïed est très populaire. L'issue de cette crise politique permettra de dire si c'était un coup d'État pur et dur ou si l'action du président visait à mener un gouvernement de crise pour sortir de la crise sanitaire et potentiellement la crise démocratique qui en découlait. Est-ce la fin de la seule démocratie issue des Printemps arabes : les prochains mois nous donneront la réponse.
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