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Il y a quelques semaines plusieurs centaines de manifestants s'étaient réunis dans la capitale du Salvador pour protester contre le président, son autoritarisme grandissant et sa nouvelle loi rendant le Bitcoin monnaie légale dans le pays. Malheureusement, ces manifestations n'auront que peu d'effet. Le président est effectivement en train de faire main basse sur l'état, mais avec 90% d'avis favorables, il est quasiment intouchable. Petit retour sur l'histoire récente du Salvador et sur l'ascension fulgurante de son jeune président.
☕ Café amer
Depuis son indépendance en 1860, le Salvador s'est construit politiquement à travers une très longue histoire de présidents-dictateurs et de régimes militaires.
Dès 1860, les grandes familles issues de l'industrie du café produisent des présidents à la chaîne, tous issus de leurs rangs. L'oligarchie des grands propriétaires terriens s'installe.
Suite à la crise mondiale de 1929 et ses répercussions sur l'industrie du café, une révolte paysanne éclate dans tout le pays. Le général Martinez matte violemment cette "révolution bolchévique" et en profite pour prendre le pouvoir. Ces événements font plus de 30 000 morts.
Le Salvador passe alors d'une suite de présidents dictateurs issus de l'oligarchie du café à une suite de régimes militaires tout aussi autoritaires. Parallèlement, le pays est rattrapé comme tant d'autres par la montée des inégalités, la pauvreté.
Dans les années 70, des guérillas d'inspiration communiste se forment pour envisager de renverser le régime militaire. Des organisations paramilitaires d'extrême droite se forment en réponse. Bref, tous les ingrédients s'instaurent doucement pour que cela finisse mal.
De 1980 à 1992, le Salvador a été le théâtre d'une guerre civile terrible entre les guérillas, la junte militaire et les paramilitaires. Plus de 100 000 morts en 12 ans.
👶 Garde alternée
Depuis la fin de la guerre civile, le pays est dirigé par deux grands partis. Jusqu'à ce qu'un jeune twitto à la casquette à l'envers vienne renverser la table.
Suite à l'accord de paix en 92 entre les guérilleros et la junte militaire, le Parti conservateur prend le pouvoir dans une démocratie plus apaisée.
À l'issue de la guerre civile, les USA ont commencé à rapatrier vers le Salvador une grande partie des Maras, des gangs ultra violents principalement composés de migrants d'Amérique centrale. Les gangs rentrés au pays gangrènent petit à petit la société et grossissent vite en recrutant facilement d'anciens guérilleros désabusés.
18 ans après la fin de la guerre civile, première vraie alternance pour le pays avec l'élection du candidat du Parti de gauche, Mauricio Funes.
En 2019, lorsque Nayib Bukele se présente à l'élection présidentielle, les Salvadoriens en ont plus que marre des deux anciens partis qu'ils considèrent comme corrompus et de l'extrême violence qui dévaste le pays. Il n'a que 38 ans et sa candidature anti-système récolte plus de 53% des voix dès le premier tour.
👱 Trump sans les cheveux
Nayib Bukele a totalement transformé et dépoussiéré la façon de faire de la politique au Salvador. De l'ancien monde politique, il n'aura gardé que l'essentiel, l'autoritarisme et le populisme.
Nayib Bukele est un ovni politique. Élu maire de la capitale 4 ans plus tôt (34 ans donc), il domine le débat en se focalisant sur la criminalité et mène campagne quasiment exclusivement sur les réseaux sociaux. Une casquette à l'envers souvent vissée sur la tête, il lui arrive de tweeter jusqu'à 100 fois par jour.
Les pro Bukele diront qu'il a fait largement reculer la criminalité dans le pays. Les anti leur répondront qu'il aurait conclu des accords avec les Maras pour réduire la violence en échange de meilleures conditions de détention.
Cela le rend en tout cas extrêmement populaire (90% d'avis favorables) et d'autant plus dangereux que ses dérives autoritaires s'accumulent depuis plusieurs mois.
En 2020, il a débarqué avec l'armée dans l'Assemblée nationale pour forcer les députés à voter son nouveau budget axé sur la lutte contre le crime.
En mai de cette année, l'Assemblée nationale, maintenant sous contrôle de son parti politique, a renvoyé 15 juges et les a remplacés par des fidèles.
En juin, il a dissous un organisme de lutte contre la corruption et a expulsé du pays un journaliste qui a enquêté sur les supposés accords entre son gouvernement et trois gangs.
En août, l'assemblée a adopté une loi qui prévoit le licenciement de tous les juges âgés de plus de 60 ans. L'objectif est de remplacer les sortants par des fidèles du président.
Pour ne rien gâcher, le président dirige le pays comme une mafia, en famille. Son oncle est ministre du Commerce, le père de son filleul dirige l'agence nationale de l'export. Des amis d'enfance sont aux manettes de l'autorité portuaire et du ministère de l'Agriculture. Le nouveau président de son parti n'est autre que son cousin.
Enfin, la Cour suprême vient d'annoncer que, contrairement à la Constitution, un président en exercice peut se présenter à une réélection.
90% de soutien dans la population, le champ libre pour se représenter une seconde fois, une Assemblée à sa botte, sa famille placée dans tous les postes importants. Tout cela à seulement 40 ans. Il y a de fortes chances pour qu'on entende parler longtemps de Nayib Bukele.