Jeudi 27 mai, Emmanuel Macron était en déplacement à Kigali, la capitale rwandaise pour prononcer un discours sur le génocide de 1994. Il y a trois mois, le rapport Duclert concluait que la France portait une responsabilité "lourde et écrasante" pour ne pas avoir fait davantage pour arrêter le génocide. En revanche, le rapport ne conclut pas que la France était complice du massacre.
Dans son discours, le président a expliqué que "la France endossait une responsabilité accablante dans un engrenage qui a abouti au pire, alors même qu’elle cherchait précisément à l’éviter. " Le président rwandais, Paul Kagame, a répondu que le discours du président français avait « plus de valeur que des excuses ».
Voici un petit briefing pour comprendre qui étaient les protagonistes, comment le pays en est arrivé là et ce qu’il s’est passé en 1994.
🇧🇪 Les années belges
Depuis la fin de la première guerre mondiale, le Rwanda est colonisé par la Belgique. Il y a alors plusieurs clans dans le pays, selon une division vraisemblablement plus sociale qu'ethnique. Les Hutus sont largement majoritaires (85% de la population). Ils sont agriculteurs ou paysans. Les Tutsis sont éleveurs et s'occupent des pâturages. Ils sont également considérés comme la classe dominante traditionnelle, bien que minoritaires. Nos amis Belges se sont en tout cas largement appuyés sur la minorité Tutsi pour administrer le pays.
Dans les années 50, la majorité Hutu dénonce de plus en plus "son exploitation par les Tutsis". Une lente évolution des consciences amène les Hutus à se considérer davantage comme "les égaux" des Tutsis. Mais la réalité économique est tout autre. Et malgré les engagements pris par la Belgique pour définir un partage des terres moins défavorables aux Hutus, celui-ci tarde à arriver.
✊ Hutu Power
En 1959 les Hutus se révoltent et instaurent une république avec l'accord de la Belgique. Celle-ci vient de retourner sa veste voyant les Tutsis de plus en plus pressants pour obtenir l'indépendance du pays. Elle sera finalement déclarée en 62. Pendant cette première guerre civile, plusieurs milliers de Tutsis sont massacrés et 200 000 fuient le pays.
Entre 1962 et 1967 les Tutsis tentent de revenir de leur exil par la force. Les opérations échouent et ont des conséquences dramatiques pour les Tutsis restés au Rwanda : 20 000 tués et 300 000 de plus en exil.
En 1973, le général Juvénal Habyarimana prend le pouvoir lors d'un coup d'État. Il met en place un système de parti unique et il amplifie la discrimination d'État envers les Tutsis (peu de places dans les écoles, universités, aucun poste de fonctionnaires, ...). Parallèlement la communauté internationale s'intéresse désormais de plus en plus au Rwanda et le pays devient un bénéficiaire récurrent d'aides au développement, notamment de la part des pays Européens.
⚔️ Le retour des Tutsis
En 1990, rebelote, les exilés Tutsis, organisés sous le Front Patriotique Rwandais lancent une attaque depuis le nord du pays. La France et la Belgique viennent en soutien de l'armée régulière rwandaise pour contrer l'armée Tutsi, qui échoue dans cette nouvelle tentative. Sous la pression internationale, les négociations de paix sont entamées. Mais elles ne conviennent à personne. Notamment pas à la frange extrémiste des Hutus qui entame la formation de milices dans chaque village, en prévision de l'affrontement ultime contre les Tutsis.
Le 4 avril 1994, la paix est signée. Le 6 avril, alors que le président Juvénal Habyarimana revient de cette conférence de paix, son avion est abattu. Le lendemain, la première ministre Agathe Uwilingiyimana et plusieurs autres personnalités politiques Hutus modérées sont assassinées par les militaires Hutus. Le colonel Théoneste Bagosora prend le pouvoir et déclenche le génocide.
☠️ 3 mois seulement
Le massacre des Tutsis dure trois mois et fera entre 800 000 et 1 million de morts. Les ordres issus du gouvernement et de l'armée sont passés aux préfets des régions qui les passent aux maires, qui organisent des réunions dans chaque village. Les civils accompagnés des milices Hutus reçoivent des consignes quotidiennes par ce biais mais également par la radio nationale qui va jusqu'à préciser où il reste des Tutsis cachés. Cela faisait plusieurs décennies que les Hutus étaient montés contre les Tutsis par une propagande d'État bien huilée : "minorité oppressante", "issue d'une ethnie étrangère au Rwanda", ...
En juillet 1994 le Front Patriotique Rwandais qui regroupe les forces Tutsies exilées prend finalement la capitale du Rwanda et met fin aux hostilités envers les Tutsis. Il faut noter tout de même qu'il y a eu un grand nombre de vengeances et représailles envers les Hutus lors de l'avancée du FPR. À l'arrivée du FPR, 2 millions de Hutus fuient le pays vers les pays voisins.
🤝 La vie après
Un tribunal pénal international pour le Rwanda a été mis en place par l'ONU pour juger les coupables du génocide. La plupart des membres du gouvernement Hutu ont été arrêtés. Mais beaucoup ont réussi à fuir et il est assez courant de retrouver à la une des journaux un ex-génocidaire caché depuis plus de 20 ans en France. Un des derniers gros poissons à avoir été arrêté est Félicien Kabuga, considéré comme « le financier du génocide ». C'était le 16 mai 2020 à Asnières-Sur-Seine.
Suite à une période de transition, l'homme fort de l'armée Tutsi, Paul Kagame a été élu en 2000 président de la république du Rwanda, puis réélu en 2003, 2010 et 2017. Mais le régime de Paul Kagame est loin d'être une démocratie parfaite. De nombreux opposants ont été arrêtés ou assassinés. Depuis plus de 20 ans il n'y a pas eu de nouvelles violences, plutôt bon signe donc. Mais que sait-on vraiment de la réconciliation dans un pays où 1/5 de la population (en âge d'être adulte il y a 25 ans) a participé aux massacres en tant que victime, génocidaire ou observateur ?
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