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Depuis quelques mois, l’actualité internationale tourne régulièrement autour des anciennes républiques d’URSS. L’élection présidentielle volée en Biélorussie et le soulèvement populaire qui a suivi. Le conflit dans le Haut-Karabakh ou encore les manifestations au Kazakhstan et finalement, la guerre que la Russie mène en Ukraine.
Tout cela m’a donné envie de me replonger dans la dislocation de l’URSS et ses conséquences sur l’actualité internationale contemporaine.
🪆1. La chute de l’URSS
On ne va pas refaire ici la naissance et la chute de l’URSS, mais rappelons quelques événements majeurs qui accompagnent la fin de l’empire.
Dans les années 80, Mikhaïl Gorbatchev arrive au pouvoir et lance de grandes réformes pour tenter de remettre l’économie à flot mais, en parallèle, l’URSS craque de toutes parts.
Le mur de Berlin tombe fin 89.
Début 90, la Lituanie déclare son indépendance
Mi 90, la Russie (la plus grosse partie de l’URSS) proclame sa souveraineté sur son propre territoire, au détriment de l’URSS.
Début 91, les leaders conservateurs soviétiques tentent de prendre le pouvoir par la force et de renverser Gorbatchev. Cependant, c'est Boris Eltsine, tout juste élu président de la Fédération de Russie, qui arrête ce coup d’État.
Fin 91, les dirigeants de l’Ukraine, la Biélorussie et de la Russie se réunissent pour déclarer : « Nous, République de Biélorussie, Fédération russe et Ukraine, en tant qu'États fondateurs de l'URSS, signataires du traité d'union de 1922, établissons par la présente que l'URSS, en tant que sujet de droit international et réalité géopolitique, cesse d'exister ».
Quelques jours plus tard, toutes les autres républiques soviétiques suivent le pas et l’URSS cesse d’exister.
Voici comment une dizaine de républiques jusque-là unies par la force et la tyrannie prennent des chemins séparés.
🛣 2. Chacun sa route, chacun son chemin
🇺🇦 L’Ukraine
Intégrée dans l’URSS dans les années 20, elle prend son indépendance en 91, comme nous l’avons vu juste au-dessus.
Un ancien du parti communiste soviétique, Leonid Koutchma, prend les rênes du pays directement et il ne les lâche qu’une décennie plus tard. Sous ses mandats, l’Ukraine était la caricature d’un État corrompu.
Lors des élections de 2004, le camp pro russe gagne, en truquant les élections, contre le camp pro européen. Cela déclenche la fameuse révolution orange, qui réunit plus de 500 000 manifestants et qui dure plus de deux semaines.
En 2014, alors que le gouvernement (pro russe) refuse de signer un traité de rapprochement entre l’UE et l’Ukraine, la jeunesse retourne dans la rue, forçant le président à fuir vers la Russie.
C'est également ce moment qu’a choisi la Russie pour annexer purement et simplement la Crimée et favoriser des milices sécessionnistes dans le Donbass, à l’est de l’Ukraine. Nous y reviendrons plus bas.
On en a déjà parlé dans Marcopolo 👇
🇧🇾 La Biélorussie
Indépendante depuis 1991 sans l'avoir jamais été auparavant, la Biélorussie est dirigée depuis 1994 par le président Loukachenko.
Il est souvent qualifié de dernier dictateur d'Europe pour ses pratiques totalement anti démocratiques.
En 2020, le président se présente pour un 6ᵉ mandat et fait arrêter et exclure de l'élection ses deux principaux opposants, on n'est jamais trop prudent.
Svetlana, l’épouse de Sergueï Tikhanovski, l’un des opposants arrêtés, se présente alors à sa place et réussit à fédérer autour de sa candidature tous les opposants au régime.
Elle mène une campagne très active contre la dictature d'Alexandre Loukachenko et fait salle comble pendant ses réunions. Plusieurs membres de son staff sont arrêtés durant la campagne.
Le président sortant obtient 80 % des votes et Svetlana Tikhanovskaïa est créditée de 10 %. Cette annonce provoque un soulèvement populaire qui a duré plusieurs semaines et a été maté par la police avec violence.
La plupart des opposants durant cette campagne, dont Svetlana, sont maintenant soit arrêtés, soit en exil et Loukachenko est toujours président.
La Biélorussie a pris part militairement (à très petite échelle) à l’invasion de l’Ukraine aux côtés de la Russie.
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🐎 L’Asie Centrale
Le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan acquièrent tous leur indépendance en 1991, à la dislocation de l'URSS.
Dans tous ces pays, les dirigeants soviétiques en place à la chute de l’URSS sont devenus les présidents et deux n’ont toujours pas lâché le pouvoir.
En Ouzbékistan et au Turkménistan, les dirigeants communistes devenus présidents le sont toujours et dirigent leurs pays à la soviétique : parti unique, autorité, bref, rien n’a changé.
Au Kirghizistan, le président en place depuis l'indépendance s’est fait virer lors de la révolution des Tulipes en 2005. Son successeur s’est lui-même fait virer par une autre révolution en 2010. Depuis, les alternances politiques semblent se dérouler sans heurts.
Au Kazakhstan : Noursoultan Nazarbaïev, président depuis l'indépendance, a enfin lâché le pouvoir en 2018. Il a intronisé un fidèle à sa place et tente de garder un contrôle sur la politique du pays. En janvier 2022, de nombreux rassemblements ont eu lieu contre la hausse des prix du carburant. Les manifestations sont devenues de violentes attaques contre le régime autoritaire du président Tokayev, qui a répondu avec encore plus de violence. La situation s’est calmée, mais le problème n’est pas réglé.
Au Tadjikistan, la situation a été immédiatement beaucoup plus complexe. Dans les années 90, une guerre civile éclate entre communistes et musulmans faisant plusieurs dizaines de milliers de morts. La Russie a aidé le camp communiste à reprendre le dessus. Depuis, le très corrompu et très autoritaire Emomali Rahmon dirige le pays à la soviétique également et il gagne toutes les “élections” haut la main.
🇲🇩 La Moldavie
La Moldavie est coincée entre la Roumanie et l’Ukraine. Après la Seconde Guerre mondiale, la Russie promeut l’installation de nombreux russes et ukrainiens pour changer la démographie du pays. En 1989, les premières manifestations pour l’indépendance démarrent jusqu’en 1991. Les russophones ne suivent pas la ligne indépendantiste et proclament leur propre état « République du Dniestr », en Transnistrie, à l'Est du pays. L'armée moldave échoue à en reprendre le contrôle et cette république sécessionniste est protégée par l'armée russe dorénavant et c’est toujours le cas.
⛰ Le Caucase
🇦🇲 L’Arménie
Sous domination ottomane depuis des siècles, l’Arménie accéda à l’indépendance en 1918, pour 4 ans à peine, car elle fut intégrée à l’URSS en 1922. Elle n’a recouvré l'indépendance qu'en 1991, au moment de la dissolution de l'URSS.
Jusque-là vous vous dites pas de problème ? Eh bien si, la région du Haut-Karabakh : peuplée majoritairement d'Arméniens, mais rattachée à l'Azerbaïdjan dans les années 1920 et contrôlée par l'Arménie depuis 1994. On y reviendra.
🇦🇿 L'Azerbaïdjan
En 1991, l'Azerbaïdjan déclare l'indépendance du pays, comme toutes les autres républiques, je devrais peut-être arrêter de répéter cette date. Parlons plus en détail du conflit entre les deux voisins.
Le Haut-Karabagh est un territoire disputé par l'Arménie et l'Azerbaïdjan depuis de longues années. On peut facilement remonter au début des années 1800, mais ce n'est pas le sujet. En 1920, les deux pays font partie de l'Empire soviétique et Staline tranche le débat (on l'imagine, en douceur) et rattache le Haut-Karabagh à l'Azerbaïdjan, bien que ce soit un territoire peuplé à plus de 90% d'Arméniens.
Lors de la chute de l'URSS, en 1991, l'Arménie et l'Azerbaïdjan deviennent indépendants et le Haut-Karabagh profite de la situation pour déclarer son indépendance également. Évidemment, l'Azerbaïdjan n'est pas du tout d'accord et une guerre très violente éclate avec la république du Haut-Karabagh appuyée par l'Arménie. C'est un réel cataclysme pour la région, car les affrontements durent deux ans, font plus de 20 000 morts et un million de déplacés.
Un cessez-le-feu est signé en 1994 grâce à l'implication de la France, des USA et de la Russie. Depuis, quelques escarmouches ont eu lieu entre les différentes forces en présence, mais jamais de l'ampleur des heurts actuels. Techniquement, le Haut-Karabagh n'est reconnu par aucun pays membre de l'ONU, mais il est de fait contrôlé par l'armée arménienne.
En 2020, le conflit reprend, à l’initiative de l’Azerbaïdjan. Il a duré presque une année et fait fuir la moitié de la population. En novembre 2020, un cessez-le-feu est signé et acte la perte de trois quarts du territoire en faveur de l’Azerbaïdjan.
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🇬🇪 La Géorgie
Bon, je recommence, mais en 1991, la Géorgie se déclare indépendante de l'URSS.
Deux provinces ne s'y retrouvent pas du tout : l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie, qui ont en commun d'être à la frontière russe, anciennement autonomes à l'intérieur de l'URSS et d'être également des régions de minorités ethniques. Elles étaient plutôt partantes pour rester en Russie.
L'Ossétie du Sud s'autoproclame indépendante, ce qui déclenche une guerre civile entre 91 et 92.
La république sécessionniste d'Abkhazie s'autoproclame aussi indépendante et déclenche, elle aussi, une autre guerre civile entre 92 et 93.
Les élections législatives de 2003 sont grossièrement truquées en faveur du parti au pouvoir. Saakachvili lance alors un énorme mouvement de désobéissance civile et de manifestation pacifique : la révolution des Roses. Cette révolution pacifique, qui a servi plus tard d'exemple à la révolution orange en Ukraine, réunit des centaines de milliers de personnes. Le président Chevardnadze, en poste depuis 92, démissionne.
Un peu plus bas nous verrons comment la Russie a saisi les deux provinces sécessionnistes en 2008.
🥶 Les États baltes
Allez, c’est presque fini. La Lettonie, la Lituanie et l’Estonie furent annexées par l'URSS en 1940, en vertu du pacte germano-soviétique, puis occupées par l'Allemagne jusqu'en 1944., puis de nouveau républiques soviétiques de 1944 à 1991. Les trois pays sont membres de l'Union européenne depuis mai 2004 et voisins vraiment très proches de la Russie.
⛓ 3. Connecting the dots
Cela fait donc à peu près 30 ans que l’URSS n’est plus. Mais, en regardant les évènements avec quelques décennies de recul, cela fait 20 ans que Vladimir Poutine s’acharne à ne pas accepter cette réalité. Passons en revue trois épisodes qui démontrent la méthode Poutine.
🚽 Round 1 : 2000
Après la chute de l'URSS, la Tchétchénie tente de profiter du chaos pour devenir indépendante. Le président Eltsine réagi tardivement et c’est une débâcle pour l’armée russe : le territoire devient autonome de fait. Lorsqu’en 1999, la Tchétchénie tente d’envahir le Daghestan voisin et réalise des attentats terroristes dans plusieurs villes de la région, Eltsine a démissionné et cède sa place au premier ministre Vladimir Poutine, le temps d’organiser des élections. Il conduit la contre-offensive et n’y va pas de main morte : « J’irai buter les terroristes jusque dans les chiottes ». La capitale de la Tchétchénie, Grozny, tombe le 6 février 2000 après avoir été rasée. Par cette occasion, Poutine se fait un nom sur la scène politique nationale et devient président en mars 2000.
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🏳 Round 2 : 2008
8 ans plus tard, à l’été 2008, cette fois, c'est en Géorgie que l’action se passe. Comme nous l’avons vu plus haut, deux provinces de la Géorgie avaient fait sécession lors de l’indépendance de la Géorgie : l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Toutes les deux étaient soutenues par la Russie dans leur velléité indépendantiste. 8 ans après la guerre de Tchétchénie et l’élection de Poutine, à l’été 2008, la Russie annonce le renforcement de ses liens avec les deux provinces rebelles, la Géorgie tente de reprendre le contrôle des deux territoires, la guerre éclate et elle est éclair : la Russie la gagne en quelques jours. Les deux provinces sont désormais reconnues indépendantes par la Russie et la Géorgie s’est fait amputer d’une partie de son territoire. Aujourd'hui l'indépendance de ces deux régions n'est reconnue que par la Russie, la Transnistrie, la Syrie, le Nicaragua, le Venezuela et l'île de Nauru : que du beau monde.
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🪖 Round 3 : 2014
6 ans après les faits géorgiens, c’est en Ukraine que l’agression russe se déroule dorénavant. En 2014, des manifestations pro-occidentales éclatent à Kiev et chassent le président. Le Parlement enlève à la langue russe, parlée par un quart de la population, son statut de deuxième langue officielle. Pendant ce temps, la Russie en profite pour faire main basse sur la Crimée. La Russie possède là-bas une très grosse base navale et la population y est majoritairement russophone. • Des militaires sans drapeaux ni distinctions sur leurs uniformes ont pris possession de l'île "pour la protéger" contre des agresseurs non identifiés. Personne n'était dupe de la nationalité des militaires, russes en l’occurrence. Parallèlement, il s'est produit presque la même chose dans la région du Donbass, sans que la Russie arrive à aller jusqu'à l'annexion pure et simple.
🚜 Round 4 : 2022
Toujours en Ukraine et de nouveau 8 ans plus tard, pour finir le travail. Depuis 2021, la tension est de nouveau montée d’un cran entre l’Ukraine et la Russie suite à l’arrêt de 3 chaînes de télévisions pro-russes bannies du pays. Puis l’adoption d’une loi pour limiter l’usage du Russe et enfin l’arrêt d’un oligarque russe allié de Poutine.
Poutine a le désagréable sentiment depuis plusieurs années que l’Ukraine glisse doucement vers l’Occident. Le président russe aimerait que l’OTAN lui donne des garanties et dise haut et fort qu’il n’acceptera jamais l’Ukraine dans le club, mais l’OTAN ne souhaite pas s’engager.
Donc, Poutine a rassemblé depuis plusieurs mois des dizaines de milliers de troupes à la frontière ukrainienne. Personne n’imaginait qu’il allait en faire usage, moi le premier. Il n’a pourtant fait que ça depuis 20 ans. En revanche, ce qu’il pensait être une guerre éclair et un effondrement rapide de l'État ukrainien ne s’est pas du tout passé comme prévu.
Si vous pensez que les prochaines élections en Russie auront bientôt raison de Poutine, n’oublions pas qu’il a systématiquement enfermé ses opposants, dont Alexeï Navalny.
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Surtout, rappelons-nous que mi-2021, il a signé un amendement constitutionnel lui permettant de briguer deux mandats présidentiels supplémentaires. Il pourrait ainsi rester en fonction jusqu'en 2036. Il a actuellement 68 ans et règne sur le pays depuis 2000, on n’est pas loin du record du monde.
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Bref, on voit là toute l’importance de se battre pour une démocratie claire, transparente, non négociable et vraiment concurrentielle.