La semaine dernière le président turc était en visite à Chypre pour commémorer la prise de contrôle du nord de l'île par l'armée turque en 1974. Il en a profité pour appeler à créer deux états distincts sur l'île. Il a également déclaré vouloir rouvrir Varosha, une ville abandonnée située à la frontière entre les deux régions de l'île, symbole de la division de l'île.
Le Conseil de Sécurité de l'ONU n'a pas tardé à réagir en indiquant qu'il était pour un règlement du conflit "fondé sur une fédération bicommunautaire et bizonale avec l'égalité politique" et non une scission de l'île en deux états. Le Conseil a par ailleurs remonté les bretelles du président turc dont "les actions unilatérales vont à l'encontre de ces résolutions". Je suis certain que le président Erdogan en tremble encore.
Depuis les années 50, Chypre est un vrai champ de bataille entre idéologies nationalistes. D'un côté les identitaires grecs reprennent à leur compte la "Grande Idée", un concept inventé au XIXᵉ siècle pour promouvoir l'unification à la Grèce de toutes les îles et régions où les Grecs sont majoritaires (la Crète, la Ionie, la Thrace orientale, etc.). Avec ses 82 % d'habitants d'origine grecque, l'unification de Chypre à la Grèce devient donc centrale (concept appelé l'Enosis). De l'autre côté, la Turquie reprend un vieux concept, le Taksim, qui veut l'indépendance de la partie nord de l'île peuplée majoritairement de turcs.
À cette période, les nationalistes chypriotes tentent d'utiliser l'Enosis pour se libérer de l'occupation anglaise. Ils souhaitent un référendum pour le rattachement à la Grèce, que le Royaume-Uni leur refuse. Cette impasse crée les conditions favorables pour le lancement d'un mouvement de guérilla qui a pour but d'arriver au rattachement à la Grèce par les armes, l'EOKA.
En 1960, Chypre obtient son indépendance du Royaume-Uni. La nouvelle constitution tente de prendre en compte les spécificités de l'île : garantie pour la minorité turque d'obtenir 30 % des places dans la fonction publique alors qu'ils ne représentent que 18% de la population, par exemple, et ils obtiennent également un droit de veto sur les décisions du parlement. Les tensions entre les deux communautés sont en revanche très présentes tout au long des années 1960 : destructions de villages et assassinats sont légion de chaque côté. Parallèlement, en 1967, la Grèce tombe sous la dictature des colonels. Le pays est sous l'autorité d'une junte militaire qui a chassé le roi.
En 1974, du côté de Chypre, les radicaux de l'EOKA forment un coup d'État avec l'appui des colonels grecs et de la garde nationale chypriote. Leur objectif est de renverser le gouvernement et de fusionner Chypre à la Grèce, tout simplement. La Turquie intervient militairement pour protéger la population turque et empêcher tout rattachement à la Grèce. L'intervention militaire (appelée Opération Attila, rien que ça) fait échouer en deux jours le coup d'État et cet événement déclenche par ailleurs la fin de la dictature des colonels en Grèce.
Mais, la Turquie ne s'arrête pas là. Elle déclare l'indépendance de la partie Nord de l'île, qui représente 38 % de la superficie de l'île alors que la population ne représente toujours que 18 %. Suite à l'échec du coup d'État, la république chypriote est restaurée, mais la Turquie refuse de libérer la partie Nord. 200 000 chypriotes grecs migrent vers le sud et inversement. En 1975, l'État fédéré turc de Chypre est déclaré, reconnu uniquement par la Turquie et désapprouvé directement par l'ONU qui prend place sur la ligne de démarcation entre les deux communautés pour faire respecter le cessez-le-feu.
Depuis, les différentes négociations pour régler ce conflit ont toutes échouées. En 2004, la république de Chypre entre dans l'UE. En réalité, ce n'est qu'une partie de Chypre qui devient européenne ce jour-là. Le président turc n'hésitera pas à revenir à la charge dans le futur, car l'enjeu est de taille : étendre la Zone Économique Exclusive de la Turquie en mer Méditerranée. On en parlait déjà dans le briefing sur le gaz en Méditerranée.
Après cette 41ᵉ édition, Marcopolo part en vacances et reviendra fin août. Merci encore aux nombreux inscrits à cette newsletter. L’objectif est toujours d’expliquer l’actualité internationale simplement, sans prétention et avec beaucoup de contexte. Je suis toujours preneur de retour pour améliorer Marcopolo donc n’hésitez pas à répondre aux emails avec vos commentaires. On se retrouve en septembre.
🌍 Le monde cette semaine
🇲🇲 En Birmanie, la junte militaire qui a pris le pouvoir vient de faire annuler les élections que le parti d'Aung San Suu Kyi's avait gagnées en fin d'année dernière. Une simple formalité pour l'armée qui n'avait de toute façon absolument pas respecté les résultats et pris le pouvoir en février. Relire le briefing sur le coup d'État en Birmanie.
🇹🇳 En Tunisie, le président Kais Saied a viré le gouvernement, suspendu le parlement et pris le pouvoir exécutif. Depuis plusieurs semaines, de nombreuses manifestations ont eu lieu dans différentes villes du pays pour dénoncer l'inaction du gouvernement contre la crise sanitaire et la crise économique. Il est encore trop tôt pour définir ce qui vient de se passer : une reprise en main du pays en vue de nouvelles élections ou un coup d'État tout simplement.